VOICI LE BOIS DE LA CROIX

Qui ne fut impressionné par les images du Pape, seul sur le parvis de la place Saint Pierre ? Tant de canaux les retransmirent jusqu’à nos confinements ! Mais (à commencer par moi!) qui entendra, jusqu’au retournement de son être le plus profond, la portée de son exhortation ?  En réalité, la place Saint Pierre, jamais si déserte,  n’avait jamais tant débordé de vive présence.

L’humanité entière était là, sous le regard du Pape, dans le cœur du Christ. Humanité consacrée à l’amour indéfectible de Dieu souffrant notre souffrance. « Dépêche-toi d’aller sur les places et dans les rues de la ville. Les pauvres et estropiés, amène les ici… Afin que ma maison soit remplie ! ». (Luc 14)
Tous les souffrants anonymes, tous les lutteurs du soin, tous les acteurs de l’ombre, tous ceux qu’aucun recensement ne dénombre étaient là, sous la bienveillance paternelle de François. « Maître, ce que tu as ordonné est fait. Il y a encore de la place ».
Les commentateurs médusés scrutèrent faits et gestes du Saint Père, durant cette liturgie hors du commun.
Mais, à commencer par moi, qui concrétisera, au plus authentique de soi, la « réorientation » intégrale invoquée par François ?
Il est là, le rendez-vous de Dieu !

Elle est là, la Semaine Sainte des temps à vivre.
A la fois confinés par impérieuse nécessité, et reliés plus que jamais les uns aux autres.
Ils sont là, les jours saints !
Non pour que nous nous tracassions des gestes liturgiques que le confinement n’autorise.
Mais pour que nous y contemplions la divine présence dans leur cruelle absence.
« Celui qui souffre prie souvent beaucoup plus que celui qui se casse la tête, et imagine que c’est cela faire oraison » disait Thérèse d’Avila.

Me permets-tu, ami lecteur, cinq conseils pour communier à ces jours où Jésus aima jusqu’au bout ?

  • Premièrement, recueille l’actualité sanitaire de chaque jour dans le linceul de ton espérance : porte les défunts esseulés vers Marie et Jean, au pied de la croix. Rends grâce aussi pour que nos nombreux frères guéris recouvrent la paix. Ne blinde jamais ton oreille à la litanie quotidienne des chiffres. Souviens-toi que ces statistiques sont visages ! Souviens-toi de ce que disait René Rémond : « Quel statisticien des sentiments, quel géomètre des cœurs et des âmes pourrait évaluer la somme de souffrances que les événements portent ? ».
  • Secondement, n’aie pas de pudeur à craquer à certains moments. Dis-le au téléphone. Écris-le sur ta tablette. Prie-le vers ton Dieu. Il n’y a que l’inhumain qui ne connaisse les révoltes ou vacillements de la commune humanité. Jacques Sommet l’a expérimenté au plus intime de sa chair : « S’abandonner à l’incompréhensibilité, et savoir la crier. C’est le moment du relationnel ». Tout est relation ! Les jours d’avant le confinement nous avaient peut être aveuglés de le comprendre. Nous sommes confiés les uns aux autres. Le divin amour nous confie les uns aux autres.
  • Troisièmement, n’idéalise pas le confinement d’autrui : untel, souffrant de pesante solitude, rêve la communauté qui résoudrait tout. Untel, appartenant à la communauté, veut soudain la fuir artificiellement. Membres d’une même famille se révèlent à eux-mêmes dans le clair-obscur du très concret quotidien confiné. Se supporter mutuellement, au sens paulinien, prend ici une signification pour chaque quart d’heure. « Je ne crois pas, dans mon innocence, à la paix qui descendrait sur moi de façon éternelle, disait Etty Hillesum. J’accepte l’inquiétude et  le combat qui suivront. Où que je sois, j’essaierai d’irradier un peu d’amour, ce véritable amour du prochain qui est en moi. En chacun des hommes, j’aime quelque chose de toi, mon Dieu » Si ton confinement est fraternel et aisé, cesse d’autant plus de gémir que le confinement de nombre de tes frères est exigu, insalubre ou violent. Si un jardin l’agrémente, arpente-le en mesurant ce privilège. « Sarcle » d’autant plus la terre de ton cœur aux dimensions du monde.
  • Quatrièmement : regarde le Christ ! Aie les yeux fixés sur Lui. Sois aimanté par le don sans retour de son être. Mesure la démesure de sa Pâque. Tu ne peux agiter les rameaux comme à l’accoutumée? Tant d’autres éléments rituels seront adaptés par nécessité ? N’oublie pas Celui  qui est le Mystère! N’en oublie pas qui se livre d’amour pour tous ! C’est le Christ de Golgotha qui vient à nous. Paul Baudiquey le dit de façon lumineuse : « Christ ressuscité est l’homme sauvé du déluge des ténèbres. Le lieu précis de la blessure devient le lieu secret de la présence. L’issue n’est jamais ailleurs que là où l’épreuve a eu lieu » Jésus n’est pas ailleurs que là où l’épreuve a lieu ! Vivre sa Pâque, la croire, la célébrer, c’est la reconnaître là où, en ce moment, l’épreuve a lieu : lit d’hôpital, désarroi solitaire, et tant d’autres icônes de cette Pâque en actes….
  • Cinquièmement : cultive le juste et vital humour qui permet cette traversée. Cet humour te ramenant à l’humus de ta pauvreté considérée d’un œil nouveau. Cet humour qui vivifie autrui et rassérène l’angoissé.
    Cet humour de cristal qui ne soit  pas indécent en temps de gravité. Cet humour qui donne de décompresser l’encombrant pour te centrer sur l’essentiel. L’humour des Pères du désert sachant de qui ils reçoivent tout. L’humour du copain que le confinement n’a pas éteint.

Entre dans ces jours saints. Ami qui visites cette newsletter, sois assuré de la communion de tous ceux qui la lisent, l’alimentent, la relaient.

Que soit avec toi Celui qui porte tout sur le bois de la Croix. A samedi prochain !

Mgr Bernard Podvin
Missionnaire de la Miséricorde