ON N’ACHÈTE PAS LE CHRIST
ON N’ACHÈTE PAS LE CHRIST
« Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé » nous dit Luc (4,13).
Ayant tout épuisé ?
Tout le génie diabolique a-t-il donc été consumé lors du triple assaut contre Jésus au désert ? (Matthieu 4).
Tout le potentiel diviseur du Malin s’avère-t-il condensé dans les trois tentations ? Ces agressions flatteuses furent abondamment commentées au fil des siècles.
Toute l’insistance du tentateur a-t-elle échoué ? Prenons le temps de réfléchir et prier en ce chemin de Carême :
1) Que vivons-nous en 2025 ? Nous ne manquons pas d’être assaillis de toutes parts par la puissance mystérieuse du mal. Ah cette impression cruelle que le mauvais domine. « Pourquoi les hommes sont-ils si méchants ? » est la lancinante interrogation populaire. « Pourquoi le mal est-il plus fort que le bien? »
Quelqu’un sait-il pourquoi nous agissons en contradiction avec la vocation qui est nôtre à répandre le bien ? Notre vocation à aimer est-elle illusoire, couverte par les sarcasmes du démon ?
2) Dans l’évangile, se trouve synthétisée la triple aliénation du cœur humain. Sa triple illusion. Sa triple blessure. Ordonner aux pierres de devenir du pain. Se prosterner devant le diviseur et tout recevoir en chantage. Mettre notre Dieu à l’épreuve.
Trois abîmes. Trois démesures. Trois folies.
Tu te crois possesseur de tout. Tu idolâtres le mal. Tu tentes ton Père comme s’il ne t’aimait pas.
Chaque attaque diabolique est finement ciselée par l’agresseur. Elle prétend combler la faim de Jésus, marqué par son si long jeûne de quarante jours. Elle s’évertue à conquérir le cœur du Christ en le rendant idolâtre. Elle flatte le meilleur du Fils de l’homme cherchant à détruire le lien qui le constitue à son Père.
3) Le plan du Tentateur est terriblement construit. Le ventre. Le pouvoir. La foi.
L’économie. La politique. La religion.
L’avoir. La gouvernance. L’idolâtrie.
L’avidité. La domination. La trahison.
La triple attaque est tellement affûtée qu’elle pourrait porter un fruit funeste. Le récit, attise d’abord la faim cruciale. Il s’élève ensuite, au sens premier du terme, sur initiative du diable « emmenant Jésus plus haut » afin de contempler sur quelles terres de l’univers il règnerait
Oui, le Tentateur possède cet art de nous faire faussement prendre de la hauteur orgueilleuse.
L’acmé du récit est à Jérusalem. Mais le Fils résiste aux assauts. Il se reçoit du Père. Sa nourriture est d’accomplir sa volonté. Non de le trahir.
4) Rien ne saurait briser l’amour qui est vie. Rien n’éteindra ce que la théologie spirituelle appellera « la circumincession trinitaire ». C’est-à-dire cette compénétration des personnes de la Trinité fondée sur leur unité d’essence et d’amour. Le Père, le Fils et l’Esprit ne se conçoivent jamais l’un sans les autres, dans leur participation au mystère d’amour trine.
« Jésus rempli d’Esprit Saint » (Luc 4,1) s’entend triplement dire par le Tentateur « Si tu es le Fils de Dieu… ». L’agresseur flatte. Il vise au tréfonds de l’identité de Jésus. Mais il ne peut détruire l’Amour !
Les réponses du Christ sont celles qui accomplissent la Loi d’Amour. Et ne l’abolissent pas. Ne la bradent pas, fût-ce pour le chantage de toutes les pierres transformées en pain. On n’achète pas le Christ. « La puissance du démon est terrifiante. Mais son impuissance est de ne savoir aimer » disait Lorenzo Scupoli. Ce religieux discerna en 1589 si clairement les subtilités du combat spirituel !
« Attention, nous avertit Lorenzo. Le Malin éveille en nous d’abord le désir. Puis, vient l’inquiétude devant l’impossibilité de réaliser ce désir » La tactique du diable n’est pas seulement légendaire.
5) Au Carême, le chrétien est mis à nu. Ses forces s’épuisent à désirer ce qui n’est pas sa vocation. Tant qu’il n’a pas tout remis au Christ, le désert demeure vaine prouesse.
Suivre Jésus, c’est puiser en Celui qui est fidèle. Dans sa dignité de Fils de Dieu « Arrière Satan! » (Mat 4,10) est le cri libre et libérateur. Le cri ne consentant aucune emprise du mal. Par amour fidèle envers Dieu et l’humanité, Jésus est d’une ineffable résistance intérieure. Elle peut donner force à la nôtre.
Ami, regarde ta vie. Scrute ton cœur. Ne reçois pas cette catéchèse comme de la bigoterie. Ne sois pas de ceux qui réjouissent le diable en… niant son existence active ! Ne donne pas prise au Malin en lui exposant la vulnérabilité de ton amour propre.
Sois à la garde de ton cœur. Interroge les pensées qui veulent l’habiter. Chasse les tentations dévastatrices. Chasse-les par l’amour du Christ.
Homme, tu seras fort devant la tentation, si tu puises à l’humilité de Jésus.
« Je n’arrive pas à te vaincre, disait le diable à un Père du désert. Pourtant je fais tout comme toi. Je te vaux en tous points. Tout, sauf un. Je ne possède pas ton humilité.. »
Puisse notre Carême non point nous rendre expert en diablerie, mais plus humbles et fervents dans le désir d’aimer.
Il n’est d’autre « repoussoir » que l’amour.
A l’école de Jésus doux et humble.
Le démoniaque ne doit surtout pas fasciner le cœur au sens de l’envahir. Il doit rendre l’humain vigilant et aimant.
« Ce faux ami ne reste pas jusqu’au bout » disait Bernanos. Tandis que nous vivons en disciples de Christ qui aime jusqu’au bout !
Mgr Bernard Podvin
Missionnaire de la Miséricorde