NOS FRÈRES DÉFUNTS SONT ENDORMIS…

Dans un temps pas si lointain, l’annuaire diocésain de Lille mentionnait, en sa page 58… 3 prêtres aumôniers de cimetières !

Beaucoup se gaussaient dans les états-majors idéologiques. N’avait-on pas nommé à ces fonctions des confrères « marginaux ? ». Marginaux étant le qualificatif le moins indélicat… Là au moins, au milieu des tombes, leurs prévisibles bourdes pastorales s’avéraient limitées. Leurs « paroissiens » immédiats étant peu bavards. Il est vrai que, dans ledit annuaire, pas moins de 1200 prêtres étaient recensés ! Par ailleurs, le maillage paroissial de l’époque faisait que le curé local accompagnait presque toujours le défunt à sa dernière demeure.

En cinquante ans, le logiciel a complètement changé… La mort n’est plus perçue de la même façon. On ne meurt plus dans les conditions d’antan. Les cimetières sont, certes, le lieu du repos de nos frères défunts. Mais sont différemment visités. Ils sont souvent le réceptacle de confidences, de pleurs, de réconciliations, de dialogues entre personnes ne se connaissant guère, mais que des événements similaires réunissent. Certains défunts sont incroyablement vénérés, tandis que d’autres injustement oubliés. La mobilité des générations, les choix culturels diversifiés entre inhumation et crémation, la sécularisation, mais aussi la soif spirituelle énorme, sont tant de points à considérer ! … La pastorale a connu les crises et mutations que l’on sait.

Heureusement, une génération de prêtres et de laïcs investissent de leur attention les «lieux de dormition » que sont les cimetières dans leur signification profonde. Oui, lieux de dormition ! « Endormis en Christ » ne cesse de préciser l’apôtre Paul.
Quand, dans une catéchèse, j’explique aux gens cette vocation au sommeil dans l’attente du retour christique, les cœurs sont touchés. Celui que nous aimions n’est donc pas mort définitivement ? Il faut mourir afin de vivre. Beaucoup de propositions humanistes, spiritualistes (ou très mercantiles!) improvisent, au cimetière, des rites para religieux. Il faut combler le vide dont la nature humaine a horreur.
En ce contexte, où en est notre pastorale du deuil aujourd’hui ? Et pas seulement dans la symbolique de novembre. Merci à celles et ceux qui y sont déjà fidèlement attachés. Merci à ces acteurs pastoraux, car leur mission est répétitive, rude parfois, mais aussi tellement essentielle. Tout indique cependant que nous sommes en deçà des immenses besoins d’accompagnement.

Isabelle Bernard et sa famille ont marqué la France entière par leur dignité à la célébration d’A Dieu à Dominique en la cathédrale d’Arras. « Nous nous aimions ! » est la petite phrase de vie et d’amour qui a traversé la voûte du vaisseau St Vaast pour saisir nos cœurs. Le geste accompli dans le petit cimetière de Berneville, par la famille de Dominique Bernard, est également bouleversant : pourquoi concentrer des camionnettes de roses devant la seule sépulture de Dominique ? Si Monsieur le Maire en est d’accord, que toute tombe de Berneville soit fleurie ! Vous partagez notre douleur? Que ces fleurs soient pour tous.
Ainsi est le témoignage d’une circonstance d’exception. Mais qui doit nous ramener à l’essentiel ! Au partage d’une espérance.

Aucune vie humaine n’est insignifiante aux yeux de Dieu. Arpenter les allées d’un cimetière n’est pas une errance nostalgique ou morbide. Mais croire que nous ne sommes rien les uns sans les autres ! Visiter et bénir les tombes n’est pas un passéisme, mais une manière renouvelée de vivre la relation entre vivants et défunts.
« Lazare, notre ami s’est endormi ; mais je vais aller le tirer de ce sommeil » dit Jésus.
La communion des saints est un joyau de notre théologie. Sachons la vivre au plus près des personnes !

Mgr Bernard Podvin
Missionnaire de la Miséricorde.