Nos aînés nous manquent

“On m’a volé les dernières heures de mon père !” s’écrie cet homme révolté d’avoir dû rebrousser chemin sur injonction des forces de l’ordre. Confinement oblige ? Abus de pouvoir ? Épiloguer sur les circonstances exactes de ce drame personnel n’est pas le but de ce billet. Notons surtout ce qu’il révèle : la prise de conscience phénoménale qui monte de nos cœurs envers nos aînés. L’émotion est palpable. Alors que la vie en Ehpad était sujet secondaire de nos écrans, voici que nous n’avons d’yeux que pour elle. Nous manquons à nos aînés et nos aînés nous manquent. Ce Covid a quelque chose de diabolique. Tandis qu’il nous confine, éclate au grand jour notre soif relationnelle. Le professeur Lescure explique remarquablement comment la personne âgée lutte dans l’attente vitale de la visite désirée ; puis, “glisse” inexorablement si, hélas, personne ne vient. Ce Covid est un lâche. Il veut que glisse l’espérance du plus fragile dans l’abîme du désarroi. Mais ce virus n’aura pas le dernier mot sur l’invincible tendresse des humains. On confine « par sécurité protectrice » les fonctions  respiratoires de l’homme, mais on ne confine jamais son  souffle amoureux ! Nos aînés nous manquent. Ô bien sûr, dans l’ordinaire, avant Covid, tout n’était pas idyllique. Il leur arrivait de nous insupporter. Il nous arrivait de les négliger. Ô bien sûr, l’accompagnement “domestique” et  gériatrique au quotidien passe par des besognes ingrates et répétitives. Les salariés et bénévoles en Ehpad sont bien placés pour le savoir. Or, en  pleine crise du Covid vient au grand jour leur attachement indéfectible  à leurs résidents. On comprend pourquoi, pourtant si mal payés, ces aides-soignants ne manqueraient pour rien au monde, de retrouver  “leurs vieux”, les soigner, et  leur parler au nom de tous les visages  absents. Nous manquons à nos aînés. Oh certes, ils ont connu des guerres et privations. Oh certes, Skype supplée la visite charnelle. Oh certes, les photos des proches couvrent le mur du confinement. Oh certes, leur chapelet ne manque pas d’être prié.  Mais combien injuste est cette épreuve quand on est déjà si fragile sur les plans physiologique et cognitif. Nos aînés nous manquent. Nous rivalisons d’ingéniosité pour rattraper le retard à leur dire qu’on ne les oublie pas. Nous pestons contre cette si longue quarantaine. Abdou Diouf, qui présida le Sénégal et la francophonie, répondit à un journaliste lui demandant son plus grand regret : “N’avoir pas assez dit à mes parents combien je les aimais”. La planète, toute étourdie qu’un invisible virus rend vulnérable, découvre, mais un peu tard, que sans ses  aînés, elle serait l’arbre sans racines. Une course contre la montre se livre pour préserver la présence de ceux qu’on voudrait mieux aimer. “Honore ton père et ta mère” redit la voix intérieure. Un des fruits  de cette crise sera-t-il  de mieux estimer le plus inestimable ? Là où étaient nos trésors, là se trouvait notre cœur. Ebranlés par le Covid, là où sera désormais  notre cœur, verrons-nous le plus grand trésor? Nous pleurons nos aînés et nos aînés nous pleurent. “En vieillissant, les hommes pleurent” a écrit Jean-Luc Seigle. La statistique quotidienne fait froid dans le dos. La rationalité nous incite  à  la  comparer à la grippe espagnole de 1918  ou à la canicule de 2003. Ainsi pensons-nous dompter   nos peurs devant l’inconnu où nous allons.  Le nombre de guéris nourrit évidemment chaque jour   notre joie, comme victoire de tranchée  sur  l’invisible ennemi. Dans nos applaudissements quotidiens dédiés aux soignants, grande place doit être faite aussi à nos aînés ! Partis à pas feutrés vers le Père, ou guettant l’aurore après la nuit du confinement  à la fenêtre de leur chambre, Ils sont notre vive mémoire. “N’oublie pas que personne ne se sauve seul, nous rappelle le Pape François. N’oublie pas la fragilité dont nous sommes tous faits. Cherche, pour sortir de ce Covid, les anticorps de la solidarité! “Cette newsletter se veut génératrice des anticorps que ne manque pas de détailler et incarner le Pape. Merci à vous de vitaminer et relayer ce rendez-vous hebdomadaire. Merci à vous d’en faire un trait d’union. Bien plus qu’un trait d’union, je devrais dire un « cordon salutaire » comme chantent à Valenciennes les très nombreux pèlerins de la neuvaine mariale   du Saint Cordon. Un cordon de reliance miséricordieuse et attentive, de frère à frère. Un cordon d’intercessions vers la Mère de douleur et de bonté. Emmanuel Mounier disait : « Attention à la médiocrité de nos phrases pressées. Il faut toujours explorer les choses par le dedans. Quand nous serons deux ou trois à prier en son nom, Il sera au milieu de nous. J’ai confiance en cette force réelle qui transfigure l’écriture et l’action ». C’est le moment de prier. C’est le moment de chasser toute phrase pressée envers nos devanciers sur le cadran des âges. C’est le moment de les aimer sans fard. C’est le moment de soutenir leurs accompagnateurs du poids  de chaque jour. Accompagnateurs du « pain gris » de cette crise, tandis que se pétrit déjà la blanche mie fraternelle. A samedi !

Mgr Bernard Podvin
Missionnaire de la Miséricorde