L’aumônerie en prison : un vis-à-Vie 

Propos recueillis par Caroline Kowalski 

Christèle Bouvier parle d’expérience : s’il y a un lieu où le Christ est présent, c’est la prison. Comme tous les membres bénévoles de l’équipe, l’aumônier arrive “les mains nues”, son cœur pour seul bagage. Indépendant des rouages psycho-sociaux et du système administratif qui concluent à l’enfermement, il pose un regard neuf sur chaque détenu. Ouvrant au passage une embrasure de lumière dans la clôture. 

 

  1. Que peut faire l’aumônerie en prison ? 

Nous n’attendons aucun résultat. Mais si la “Rencontre” – qui ne nous appartient pas – doit se fasse un jour, notre mission est d’en préparer le terrain. Chaque semaine par exemple, les cercles bibliques offrent des partages informels autour de la Parole. Rien à voir avec un cours d’histoire ou d’exégèse bien sûr. Écoute respectueuse, non-jugement et confidentialité sont des notions inédites pour certains mais l’échange s’établit et on observe comment les textes peuvent rejoindre chacun. Les détenus nous emmènent alors où ils veulent… On se rend compte que la Parole est vraiment vivante ! 

 

  1. Comment s’intègre la question du Salut dans votre mission ? 

Comme son autre nom l’indique, la prison impose un temps d’arrêt. Une fois passé le choc carcéral c’est l’occasion d’une recherche de sens : réfléchir à la peine infligée à autrui et à soi-même. Cela ne se fait pas sans mal mais ça peut devenir une source de salut. Sur ce chemin, nous sommes là pour écouter, simplement. Un vis-à-vis qui peut libérer la parole en vérité. Loin des jugements qui fusent de partout souvent depuis l’enfance, la relation gratuite est accueillie comme une bulle d’oxygène dans la détention. Les prisonniers se racontent, jusqu’à relire leurs vies à la lumière de la Bonne Nouvelle. Je dirais même qu’on se découvre frères et sœurs en humanité… Et en Jésus ! Ce temps privilégié leur permet d’accéder à ce qu’ils sont au fond d’eux-mêmes au-delà des actes regrettables – qui ne les définissent pas. C’est une première étape vers une libération profonde. 

L’histoire du Salut rappelle constamment l’Amour de Dieu pour ses créatures. Comment peut-elle recevoir un écho chez les prisonniers qui, par définition, sont privés de relation ? 

Les Ecritures en général diffusent quelque chose de très lumineux dans une existence plutôt sombre. Je suis toujours étonnée de voir comment l’histoire du peuple hébreux emmené par Moïse dans le désert pendant 40 ans, résonne chez les détenus. La terre promise se faisant attendre, le peuple récrimine contre Dieu, tombe dans le cynisme et l’idolâtrie parce que l’existence est trop dure. Autant de retours en arrière qui parlent notamment à ces “pèlerins immobiles” que sont les prisonniers. C’est souvent plus confortable de rester dans l’addiction, la familiarité de la délinquance et la sécurité de l’enfermement plutôt que de tenter l’aventure de la confiance et du changement. Pourtant le Seigneur ne cesse jamais de nous tendre la main… 

 Y aurait-il un espoir de Salut à chercher aussi du côté de la justice restaurative ? 

Confronter un délinquant à une ou des victimes peut certainement aider les deux parties à se reconstruire. Parce qu’elles relisent ensemble les dommages infligés et subis, leurs émotions sont mises à nu et chacun “s’humanise”. Le bourreau ne voit plus la victime comme un objet distancié mais comme un sujet, légitimement désireux d’obtenir réparation. Les effets sur les taux de récidives sont très encourageants. 

 L’aumônerie participe-t-elle à ce processus aux côtés de l’administration ? 

À vrai dire les aumôniers tiennent à se distinguer des autres personnels de la prison qui ont le devoir de rapporter tout ce qu’ils entendent. Quand un détenu aborde un ministre du culte, quel qu’il soit, il sait que ses mots ne sortiront pas de la cellule. Les cercles bibliques amènent aussi à prendre la pleine responsabilité de ses actes. Après le déni, puis la honte, advient souvent le regret. La demande de pardon reste un phénomène rare mais un nouveau chemin peut s’ouvrir : celui que Jésus propose. Les demandes de baptême en sont le plus bel exemple ! 

 Comment se passe justement l’accompagnement au baptême ? 

Pour les personnes qui emplissent les prisons, la plus grande misère est d’avoir été trop peu ou mal aimé. Vous leur transmettez ce message, presque inaudible, qu’ils sont aimés de Dieu… Et quand certains passent de l’incrédulité à l’accueil de cet Amour, tout devient possible. Le catéchuménat est plus condensé en prison, c’est donc à l’aumônier de percevoir quand le baptême peut être célébré. Si la sortie advient avant, nous faisons le lien avec la paroisse d’accueil afin que surtout le cheminement se poursuive et que les “sortants” ne restent pas dépendants de la prison. 

 Les Prisonniers ont-il accès à d’autres sacrements ? 

La messe mensuelle attire de nombreuses personnes et l’on invite des gens de l’extérieur à communier avec les détenus. A l’occasion, une Eucharistie célébrée par l’évêque est perçue comme un grand honneur et redonne un peu d’une dignité perdue… Je reste persuadée que le chemin de repentance, informel mais tangible, est déjà quelque chose de sacramentel en soi. J’ai été témoin récemment d’une consolation mutuelle entre plusieurs femmes pendant une célébration du Pardon… Véritable moment de grâce, comme si quelque chose avait pu être déposé aux pieds du Seigneur. 

 Diriez-vous, comme certains, que c’est Jésus lui-même qu’on rencontre en prison ? 

Les détenus sont le visage du Christ, pas moins, pas plus que nous. Pourtant je dirais que Dieu est “palpable” dans les cellules… 

Une chose est sûre : toutes les sensibilités de l’Eglise se retrouvent auprès des prisonniers, et dans leur misère existentielle, ce sont eux qui nous apprennent à dépasser nos clivages pour accueillir le plus pauvre. 

Christèle Bouvier Légende : Responsable diocésaine des équipes bénévoles d’aumôniers de prison, Christèle partage son temps entre la formation catéchétique, l’Institut pour la Mission et les prisons.  

 

Témoignage de détenue à la maison d’arrêt de Lille-Sequedin 

« À défaut de guérison, je peux entrevoir l’espoir. Non, je ne reviendrai pas en arrière, néanmoins je continue d’avancer et dans ce nouvel espace, la Foi prend toute sa place. Je pose les yeux sur une fleur naissante dans notre cour bétonnée : j’aime infiniment chaque signe de tendresse, d’amitié qui se manifeste ; et j’y fonde mon espérance : s’émanciper du mensonge ambiant, de la souffrance, du mal qui nous touche, et tendre vers “le beau, le bon, le juste, le nécessaire”. Il est important de penser à soi, pour trouver ce qui est bon pour soi, pour ensuite devenir bonne pour les autres. Toutes les petites choses du monde offertes par Dieu, les bonheurs infimes (mais immenses à la fois) du vent, des odeurs, de la nature sont à prendre en considération ; autant de surprises en prison qu’il faut apprendre à regarder avec un œil neuf. »