La dignité humaine

D’une perception subjective, nous voulons ici entrer dans une compréhension
plus fine de la dignité humaine : son caractère universel et l’enjeu
de la fraternité qui en découle.

Dans les débats actuels autour de la fin de vie, les arguments les plus déterminants des promoteurs, comme les opposants à «l’aide au suicide» et à l’euthanasie, se fondent sur la dignité humaine. Soulagement de la douleur, compassion dans la souffrance, respect de l’autonomie de la personne, recherche de son plus grand bien, refus de l’acharnement
thérapeutique et, surtout, une mort «dans la dignité», sont autant d’arguments avancés par les deux camps. La notion de dignité humaine serait-elle subjective ?
Pourtant, nous parlons bien d’une dignité commune et universelle, reconnue dès le premier article de la Charte des droits de l’homme de l’ONU : «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en droits.»
Cette égale dignité des êtres humains se fonde sur notre réalité biologique, chaque être humain naissant différent et unique au monde, mais aussi sur notre capacité à penser le monde et nous-même (Pascal). Cela confère à l’homme une dignité que lui seul possède dans le monde des vivants. Elle est à ce point fondamentale qu’elle imprègne toutes les valeurs et toutes les dimensions de la vie humaine, et notamment notre condition corporelle.

 Une dignité libre et responsable
Cette dignité s’exprime à travers notre liberté, notre capacité à faire des choix, à nous adapter et à nous réinventer, même dans des situations difficiles. Cette liberté ne saurait s’exercer sans responsabilité. Ce n’est pas la moindre expression de notre dignité que de pouvoir répondre de nos actes, tant à l’égard de nous-mêmes qu’à l’égard des autres et de notre environnement1. Lors des débats de bioéthique organisés dans notre diocèse, le père Vincent Leclercq, médecin de formation et théologien, rappelait que «les défenseurs de l’euthanasie pensent revendiquer un droit personnel, mais en fait leur demande engage tout un regard sur nos situations de fragilité. Si l’euthanasie est permise dans certaines situations de fin de vie, c’est tous ceux qui sont dans cette situation qui vont se demander si leur vie vaut vraiment la peine d’être vécue jusqu’au bout. Rapidement, on pourrait très bien leur reprocher de continuer à vivre en entraînant des frais. Cette revendication est faussement personnelle car elle engage toute une société et parce qu’elle a des conséquences sur les autres».

L’urgence de la fraternité
Cette responsabilité vis-à-vis d’autrui questionne toute notre société, particulièrement au regard de la fin de vie. C’est alors notre humanité même qui est questionnée dans notre capacité à nous faire proches et solidaires de nos frères, en accompagnant et favorisant une vie pleinement vécue jusqu’au bout. Soeur Lamau2 nous redisait l’importance de ne pas laisser les gens seuls dans leur souffrance, de prendre soin en réduisant la «douleur totale» (concept mis en valeur par C. Saunders), c’est-à-dire la douleur physique,
mais aussi morale et psychologique, et cela passe par la prise en compte, avec le patient et ses proches, de la globalité de leurs besoins et de leurs désirs. Et le père Vincent Leclercq de nous rappeler dans ses interventions que «le temps de la fin de vie est souvent encore un moment de vie pour le patient et pour ses proches. Si on élimine systématiquement ce moment-là, en médicalisant la mort, je crois qu’on perd une partie de notre humanité. Notre façon de mourir dit quelque chose de notre façon de vivre».
Marie Schockaert

1. Mgr Bertrand Blanchet, archevêque émérite de Rimouski, auteur de La bioéthique. Repères d’humanité, Montréal, Médiaspaul (2009).
2. Dominicaine, théologienne, promue à la Légion d’honneur pour son engagement au service de la formation en soins palliatifs.