Fuites en avant
Réaction de notre archevêque au projet de loi sur la fin de vie
Le président de la République a présenté le 11 mars 2024 dans le journal la Croix le projet de loi dit ‘d’aide à mourir’. Il précise que le texte est défini par « un équilibre qui fait le modèle français ». En fait d’équilibre, j’ai plutôt l’impression de fuites en avant et d’un franchissement des limites.
Fuite en avant dans la confusion des mots. En dépit de ce qui est affirmé, ce projet d’aide à mourir est une ouverture à la légalisation du suicide médicalement assisté avec, de plus, la possibilité d’exception d’euthanasie. Sous prétexte de mieux dire le réel, on le masque dans des néologismes. Ceux et celles qui sont engagés dans la mission du prendre soin de la personne jusqu’en son dernier souffle apprécieront-ils aussi d’apprendre qu’accompagner la vie jusque dans le mourir et provoquer la mort en l’autre sont deux actes d’une égale fraternité ?
Fuite en avant dans une compréhension libérale et individualiste de la vie. Le président désire faire « coïncider l’autonomie de l’individu et la solidarité de la nation ». Or, la solidarité dont il parle semble surtout restreinte à l’entourage du patient, au point qu’il n’est jamais question des incidences culturelles d’une telle option. Cette loi, si elle est votée, ne risque-t-elle pas d’alourdir encore le caractère dépressif de notre société en perte d’espérance ? Ne risque-t-elle pas de fragiliser tant de personnes qui se regardent comme un poids devenu insupportable pour leur entourage ? Quand en plus la pratique pourrait se vivre partout, y compris dans des Ehpad !
Fuite en avant dans un choix d’équivalences, comme si l’accompagnement dans les soins palliatifs et la décision de se donner ou de recevoir la mort « n‘étaient plus opposables » et devraient être également disponibles. « Dans ce texte, on regarde la mort en face », dit fièrement le président. Mais de quel regard s’agit-il ? Faut-il oublier qu’y a là deux manières radicalement différentes d’envisager le mourir, l’une de s’abandonner et de laisser advenir, l’autre de maîtriser ?
Notre société se délite de ses liens. Trop de personnes sont délaissées dans leur vieillesse ou dans leurs maladies. Sans la tendresse d’une main qui accompagne au terme de la vie ici-bas, la solitude creuse l’angoisse. L’enjeu décisif est bien un réveil de la fraternité, mais une fraternité qui sert l’acte de vivre jusqu’à la mort. Je formule le vœu que les parlementaires refusent les ambiguïtés du projet de loi et que leur débat soit à hauteur d’humanité.
En ce temps du carême, l’Eglise se prépare à célébrer la victoire de l’amour sur la mort dans le Christ Jésus qui, sur la croix, s’est abandonné à Dieu en se donnant à ses frères. Dans l’espérance de la Résurrection, Il est notre guide, notre lumière et notre compagnon d’existence.
+ Laurent Le Boulc’h
Archevêque de Lille
11 mars 2024
Pour aller plus loin
Lire l’entretien du président de la République