FERAS-TU DÉSERT EN TOI ?

FERAS-TU DÉSERT EN TOI ?

« Quand je pense au désert, ses habitants sont parmi mes meilleurs souvenirs. J’ai l’impression que les conditions de survie les plus difficiles, engendrent les êtres les plus humainement riches ».
Ainsi s’exprime Sylvain Tesson, intrépide voyageur et essayiste de l’humain.

Depuis la nuit des temps, nous cherchons au désert ce que nous redoutons.
Nous y sommes séduits par le plus décapant.
Nous y suffoquons du souffle tant raréfié  du corps et de l’âme.
Nous y tremblons aussi  du gel nocturne abrasif de tout  orgueil.
Dans l’angoisse  écologique, nous exorcisons vainement la progression de toute désertification planétaire.
Par stress civilisationnel, nous guettons désespérément en nous l’imperceptible silence intérieur.
Désert terrifiant ? Désert attrayant ?
Tous ceux  qui l’ont expérimenté réellement (et non disserté  en chambre !) sont unanimes : « Il est le lieu radical où l’homme se confronte à lui-même ».

« Jésus, précise l’évangile de Matthieu, fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable » (4,1)
Ainsi est la pédagogie de Dieu envers nous.
Dans l’amour trinitaire, rien ne se vit, pour l’une des personnes,  sans que cela soit porté par le mystère trine.
L’Esprit conduit le Fils au désert. Le Fils y vivra l’expérience de son amour le plus fidèle envers le Père, dans l’Esprit.
Nous reviendrons, dans la prochaine catéchèse,  sur le désert espace du combat où Jésus vainc les trois tentations afin que l’homme vive.

1) Accueillons ici le désert comme lieu de prière, d’absolu, de dialogue avec le Père.
« Puits » fondamental du ministère de Jésus.
On pense au Christ dans sa féconde prière en retrait. Revivifiant son lien au Père. On n’ose imaginer les actes essentiels accomplis par Jésus publiquement, sans cette source intime du désert. Ses faits et paroles n’eurent été que de brillantes choses accomplies par « quelqu’un de bien ».

La langue hébraïque est ainsi riche qu’elle dit un essentiel : « midbar » le désert, «  medaber »la parole. Le contenant,  hôte du contenu !  Le contenu venant habiter le contenant. « Condescends Tu Seigneur à faire de moi, un moment, Ta demeure ? » demande Newman dans sa prière. Quelqu’un de plus grand que l’homme parle au désert. Il apprête, pour l’homme, sa divine parole, si ce dernier veut bien le rejoindre en un lâcher prise.

2) Dieu, quoique intimement présent, ne parlera pas dans l’assourdissant rythme auquel tu es servilement tenu ! Réveille-toi de tes addictions sonores, vitupérantes. Veux-tu faire de ton cœur le lieu désertique le plus urgent ?
Eucher, par exemple, devint évêque de Lyon au 5e siècle. Oui très bien direz-vous ! Ce qui est à noter ici en 2025  est qu’on va chercher Eucher  en son ermitage. Il était retiré dans la méditation, dans la solitude.
On va quémander à cet homme, retiré en Dieu en son Lubéron,  d’être homme de Dieu parmi les autres. Dans la cité.
La notoriété d’Eucher est d’être habité.
N’est-ce pas révélateur ? Sourde de Dieu, la cité, bruyante d’elle-même,  va chercher pour guide spirituel celui qui se taisait en Dieu. Dieu va parler par Eucher à la ville grouillante.
Quel signe fort pour notre aujourd’hui si bavard.
Ce croyant fera l’éloge du désert : « Les habitants du désert possèdent déjà la vie qu’ils recherchent ». Formule qui dit tout.  Note ce point ! Le pratiquant du désert, sait que son cœur a déjà atteint la vie qu’il brûle d’atteindre.  On ne donne que ce que l’on reçoit. Si tu fais désert en toi, tu deviendras partage aux autres de Dieu t’ayant visité.

3) L’imposition des Cendres, que nous venons de célébrer, a suscité de très nombreuses assemblées. Çà et là, dans les cathédrales comme les plus humbles oratoires, un débordement de participation !
Pourquoi ce monde Seigneur ? Qu’as-tu à nous dire par cette venue si nombreuse à la réception de ce signe ? Quelle attente est ici traduite en actes silencieux et fervents? Quelles blessures, quelles aspirations auxquelles Toi seul a résonance ?
Faire désert,  c’est ne pas faire dire à Dieu ce qu’il ne dit pas encore. Convertis-toi ! Entre au désert, en n’éludant pas  le contexte de ta vie,  mais dans l’amitié avec d’autres croyants, la communauté locale.

Les gens se font souvent un imaginaire grandiloquent de ce que signifie en spiritualité « faire désert ». Ils croient la démarche pas faite pour eux. Réservée à une élite sociale ou chrétienne. Ils s’imaginent les homme et femmes « de prière » toujours branchés sur Dieu, sans déconnection. S’ils savaient de quelle humanité sont celles et ceux qui ont dit oui à la vocation priante !
Le réel est beaucoup plus simple du côté de Dieu, même si l’homme le complique si souvent.
L’authenticité du « faire désert » réside ici dans son humilité.
Faire désert est une disposition d’être.
Faire désert est un choix résolu.
Faire désert est un dépouillement salutaire.
Faire désert est un acte d’amour.
Quelqu’un m’attend au dedans de moi.
Le désert devient Parole, afin que tu en vives.

« Que ta prière ignore toute multiplicité ! conseille ce Père du désert. Un seul mot plein de foi a sauvé le larron (Luc 23). La prolixité dans la prière dissipe l’esprit tandis que, souvent, une seule parole a pour effet de le recueillir ».

Je te souhaite ce rendez-vous avec Dieu, t’aimant comme tu ne peux le concevoir, dans le creuset exigeant et régénérant du désert de ton âme.
Je nous souhaite d’être des communautés de Carême où le choix du désert soit une véritable joie.

Mgr Bernard Podvin
Missionnaire de la Miséricorde