DISPROPORTIONNEE !

Je n’en reviens toujours pas : début avril 2020, au plus fort de la pandémie, le recul de l’activité mondiale a provoqué une diminution de 17% des émissions carbone quotidiennes planétaires. “Super! s’exclamerait-on un peu promptement. Il y a au moins ça de bon pour l’écosystème. Les oiseaux chantent. Les chevreuils sont de retour”. Sauf que… les dites émissions quotidiennes auront été similaires à celles de 2006. Consternant, donc : le monde aura en effet émis, en confinement presque total, autant qu’en activité normale, voici 14 ans ! Incroyable. L’homme est dépassé par lui-même. Il émet autant à ne rien faire… qu’à avoir fait, il y a peu de temps encore. Une spirale a chroniquement emporté l’humain à l’insu de sa trop lente détermination à changer son mode de vie. Homme  piégé par son aveuglément. Jean de la Fontaine aurait de quoi écrire. L’information  interpelle  les plus fervents prédicateurs de l’encyclique du Pape “Laudato si” dont je pense être, depuis sa rédaction. L’emballement de la planète se confirme. Sa photographie, à l’arrêt forcé du confinement, révèle les stigmates de sa situation réelle.  Recueillons, si vous le voulez bien,  quelques idées simples, tandis que nos cœurs sont en ce moment, d’Ascension à Pentecôte, en neuvaine d’invocation de la venue de l’Esprit Saint :

1) Il est illusoire de raisonner “confinement-déconfinement” en simples termes “arrêt-reprise”. D’abord, parce que les acteurs économiques sont nombreux à ne pouvoir envisager qu’un certain pourcentage de leur activité antérieure, pour raisons sanitaires, si dans le meilleur des cas ils ont les reins solides pour réouvrir. Et également s’ils ont autorisation sanitaire de reprendre. Il y a déjà ici une première raison purement prosaïque.

2) Un second motif corrobore l’obligation impérieuse de nous convertir au plus vite à un nouveauregard : nul ne sort indemne de cette crise. Même celui qui, pour l’instant est passé “entre les gouttes” du sournois virus. Un interlocuteur un peu “dur à cuire” m’avoue avoir d’abord pris en dérision la “grippette”. Son ami radiologue, pour le convaincre, l’a introduit dans la confidence d’images dévastatrices de la Covid. Le franchouillard en a eu les larmes aux yeux. Il n’est ni éthique ni spirituel de dire : “Ça va je m’en tire bien” sans penser universellement au plus prochain et au plus lointain de nos frères. Personne ne doit crâner. Est souvent plus fragile intérieurement celui qui se croit fort. Est souvent plus fort celui qui consent à sa faiblesse.

3) L’interdépendance entre terriens doit  être regardée de façon tant  globale que locale. Tant locale que globale. Les Chinois, par exemple, claironnent  une prétendue victoire sur la Covid en plein congrès du Parti communiste. Le réel est moins exaltant. Des sinologues avertis prédisent jusqu’à 120 millions le nombre de chômeurs potentiels chez ce géant dont l’économie vient de régresser de six pour cent…. Quoique Chine mastodonte, quoique réputée pour vouloir acheter la terre entière  Goliath n’est pas indemne de la pandémie. Car Goliath a aussi besoin de la santé des petits David. Le géant est géant, mais ses pieds sont d’argile, si toute la planète vacille. Autre exemple local : ce boucher, dans une émission radio, avoue avoir fait du bon chiffre pendant le confinement. “Les gens avaient encore de la trésorerie”.  Sa peur est maintenant de  faire moins en raison de  toutes les conséquences de la crise. On croit relire  “Au bon beurre” de Jean Dutourd. « Le monde compte deux catégories d’êtres : ceux qui se débrouillent et les autres » Mais l’ennemi en 1940 était autre que la Covid.

4) Quels que soient les soubresauts sanitaires et économiques, nous n’échapperons pas à une reconsidération structurelle. La croissance fulgurante de notre émission carbone, en moins de temps que ne met un nourrisson à devenir adolescent, est symbolique de l’accélération de ce qui doit se convertir: “C’est maintenant le temps favorable, c’est maintenant le temps du salut” dit l’Ecriture. (2 Corinthiens 6). Si nous ne prenons pas cette conversion au sérieux, nous ferons une triste publicité aux prophètes de malheur qui tétanisent les gens, déjà craintifs devant l’inconnue du virus.

5) Une hydrologue réputée, Emma Aziza, est venue cette semaine nous éclairer sur un aspect convergent : nous nous disions un peu vite, “il a bien plu l’automne dernier. Ça devrait le faire pour les sols”.  Erreur de discernement ! La quantité n’est rien sans la qualité. Outre le manque pluviométrique, nos nappes phréatiques se fragilisent du fait que nos sols se fragilisent ! Même la fourmi de la fable ne peut prétendre chanter en place de la cigale imprévoyante. Nous nous fragilisons inexorablement. Cette communion dans une condition nouvelle ne doit pas nous paniquer, mais nous rapprocher les uns des autres ! La sécheresse annoncée doit nous remuer non seulement sur le plan environnemental mais au plus profond de nous. Il n’y a pas que nos nappes qui s’assèchent plus vite. “Me voici devant toi comme une terre assoiffée!”(Psaume 142).

6) Ici je veux évoquer le discernement du Conseil d’Etat concernant l’exercice du culte en pleine crise sanitaire. La plus haute juridiction administrative de notre pays vient de poser un diagnostic exemplaire. Elle n’a évidemment pas de commentaire philosophique ou spirituel à faire. Là n’est pas son rôle. Le Conseil a jugé “disproportionnée” la règlementation qui est en vigueur. Remarquable ! Ce Conseil dit bien qu’il faut réglementer notre façon de nous assembler pour célébrer. Qui ne le conçoit ? Mais, si reste en vigueur cette disproportion, une “atteinte grave” est portée à la liberté de croire et de prier. Oui, remarquable ! D’abord parce que cela responsabilise d’autant les croyants à ne pas se rassembler sans mesures. Et cela, les paroisses et sanctuaires ont déjà su l’assumer contre le terrorisme. Mais surtout, cet arrêté du Conseil d’Etat permet de souligner l’aveuglement à prétendre  sortir de crise en reléguant le sentiment religieux à une pure émotion privée en voie d’extinction. La crise que nous traversons n’est pas, (sans horrible jeu de mots) un simple “grippage des mécanismes”. Elle est systémique, métaphysique, spirituelle. Merci à vous qui, dans les lieux de prière, les plus renommés comme les plus humbles, allez veiller à ce que tout se passe bien. Merci à vous qui favoriserez cette hospitalité chez Dieu, qui est aussi maison de tous. Le Conseil d’Etat, non seulement permet à une liberté de culte de redevenir plus effective, mais son arrêté donne à la lecture croyante des événements une toute autre dimension : nul ne vit  seulement de pain ! Autre aspect essentiel comme conséquence psychologique et ecclésiale  de cet arrêté : tant qu’on ne pouvait plus se rassembler physiquement, les croyants étaient relayés par la technologie. Mais c’était du volontariat ne touchant que ceux qui se connectaient.  Ici, grâce à ce discernement du Conseil d’Etat, la question cultuelle redevient enjeu public ! Et pas seulement pour des cercles  initiés et convaincus. Croire ou ne pas croire nous concerne tous ! Entraver une liberté fondamentale n’est donc pas seulement blesser ceux qui croient. Quand comprendra-t-on que l’attitude religieuse est au service du bien commun et non  sectarisée à un réseau d’appartenance ? Il n’est pas anodin de vivre ces démêlées en pleine Pentecôte.
L’Esprit Saint n’est pas un bien que thésaurise une secte réunie pour se faire du bien. Les libertés publiques sont en débat au plein moment où l’Esprit veut embraser les cœurs. Quel clin d’œil !

7) Je suis touché d’apprendre que vous êtes nombreux à relayer ces “billets”. Vos retours amicaux me proviennent d’âges, de lieux  et de conditions divers. Quelle joie, non seulement pour celui qui vous écrit, mais surtout en raison du trait d’union qui s’établit entre nous ! C’est cela la Pentecôte : tout recevoir d’une puissance d’aimer plus forte que nous, et relayer cette puissance. Le dominicain Yves Congar dont on sait le rayonnement avant, pendant et après Vatican II, a connu en fin de vie la cruelle dépendance due à la diminution de ses forces : “J’ai surtout compris depuis ma maladie, ayant toujours besoin du service de mes frères que ce que nous pouvons raconter, aussi sublime soit-il, ne vaut pas cher si cela n’est accompagné  d’une action concrète de service et d’amour”.  Quand frappe la Covid comme elle a frappé. Quand menace la Covid comme elle menace encore. Comprendre que nos dires,  si sublimes soient-ils, doivent être amour. Voilà qui nous recentre sur l’essentiel.

8) L’Esprit donne à celui qui l’invoque, pour lui et ses frères humains  foi, espérance, charité, prudence, justice, force, tempérance, charismes, sagesse, intelligence, don de conseil, don de science, don de piété filiale, crainte biblique. Ces dons ne sont pas “un kit”. Ils sont une relation vive et vivifiante. Ils donnent sens à la pensée  et à l’agir les plus quotidiens comme les plus exceptionnels. Ces dons ne fructifient que si nous en faisons un usage relationnel ;  de nous aux autres, de Dieu à nous, et de nous à nous-mêmes.

Depuis le début des semaines de confinement, tout semble disproportionné ? Sans doute pour que nous répondions à ce défi par la seule « démesure » qui vaille. Celle qui reçoit sa force d’aimer de l’Esprit de Pentecôte. Le Cardinal Etchegaray disait : “Je demande souvent à l’Esprit, quand je suis devant une paroi, de m’aider à repérer la petite prise qui ouvre le passage”. Cette newsletter diocésaine est là pour ensemble, repérer la petite prise. Viens Esprit Saint!…  À samedi.

 

Mgr Bernard Podvin
Missionnaire de la Miséricorde.