APPELĖS PAR L’AMOUR A LE SUIVRE

Trois choses (parmi tant!) habitent mon cœur et ma prière, que je voudrais vous partager me marquant  fortement depuis le précédent billet :

1. D’abord, un documentaire diffusé sur la RTBF.

Pour être franc, je vins à lui en zapping. Je redoutais la nième émission sur ce fichu Covid. Qui n’éprouve en ce moment le trop plein nauséeux d’images  redondantes sur le sujet ? Atterri sans conviction sur cette chaîne, je fus littéralement bouleversé par l’humanité de ce court-métrage intitulé : “Vingt-trois jours au cœur d’un hôpital”.

Véritable immersion dans le vécu du combat livré par malades et soignants. Une course contre la montre dans laquelle chacun s’avère indispensable à tous, et tous à chacun. Une caméra d’une présence aux battements  de la vie, au souffle des émotions. Un reportage d’une pudeur étonnante recueillant le stress, les silences, les larmes, l’angoisse, l’affection, les rires. Le jour, puis la nuit, puis à nouveau le jour, puis encore la nuit. La fin de vie de celui auquel on s’était tant attaché ; la guérison de celle qui, ayant  déjà tant vaincu dans sa longue  existence, devient la véritable marraine des équipes  médicales.

Ces étreintes d’autant plus sincères qu’elles ne peuvent être physiques. Ces boules au ventre pour les proches. Ces gestes fous d’altruisme et de courage. Ces menus moments. Ces solidarités complices. Ces cernes sur le visage qu’un sourire combattif veut dissimuler. Cette ardeur à ne pas être vaincu. Ces grands points d’interrogation existentielle. Cette hantise de devoir choisir éthiquement qui sera « digne » d’être réanimé.  Ces révoltes contre ce qui ne devrait pas dysfonctionner quand la vie d’autrui est en péril. Ce professionnalisme médical à la fois  le plus pointu et le plus démuni. Cette course infernale ambulancière et réanimatrice. Ce rythme vertigineux afin que, cherchant on découvre enfin ;  afin qu’ayant découvert, on cherche encore. Une diffusion d’une qualité exceptionnelle.

Tant de fois, on peste contre la médiocrité des programmes. Là, on demeure scotché sur la chaise. Les malades et leurs soignants sont comme sortis de l’écran et entrés dans l’intimité et la prière de votre confinement. Ces événements rejoignent tant ce que le spectateur vit charnellement. Le relief de ces prises de vue est saisissant d’authenticité. Le média condense l’écriture de la grande histoire humaine au compte-goutte des perfusions.

Il est fréquent quand on a vu une telle splendeur, que l’on assomme autrui du devoir de le regarder impérativement  à son tour. Je n’aurai pas cette outrecuidance. Mais peut-être, oserais-je vous inviter à être veilleurs de ce qui est beau, vrai et fidèle. “Les réseaux ne sont pas toujours si sociaux que cela ! ” dit notre premier ministre. Raison de plus pour discerner ce qui construit, ce qui relate, ce qui élève. En ce temps de crise, ce ne sont pas les heures boulimiques passées  sur les technologies qui édifient l’humanité. Ce sont les images d’orfèvre et les paroles qui apaisent, relient, instruisent,  conscientisent, cultivent et tirent vers le haut.

2. Second sujet fondamental : la journée mondiale de prière pour les vocations ce dimanche 3 mai.

Dans un premier mouvement d’humeur, d’aucuns penseraient peut être : « Centrons nous sur la lutte contre la pandémie. On verra les vocations juste après». Ce serait une erreur d’opposer urgent à essentiel.

Que doive se mobiliser l’énergie contre le Covid ne fait évidemment pas discussion ; mais ne surtout pas éluder les autres points d’attention ! Une lutte prioritaire ne veut pas dire une focalisation exclusive. On le voit déjà dans le domaine de la santé. A négliger les autres pathologies, par peur de déranger les hôpitaux ou être contaminés,  on ne ferait rien de bon pour la santé individuelle et collective. Tous les médecins le disent. L’activité économique l’atteste également. Moyennant les précautions prises, il est vital que la vie sociale et culturelle reprenne. Y compris pour préserver économiquement le système de soins.

Concernant les vocations, Dieu appelle évidemment de sa liberté divine d’appeler en toute circonstance de l’histoire de l’humanité. Marc, en son évangile, nous précise que Jésus appela « ceux qu’il voulait afin d’être avec lui »(Mc 3). Ce serait dénaturer le visage de Dieu et s’approprier ce qui relève de Lui de reléguer la préoccupation des vocations à plus tard, quand le ciel sera redevenu bleu côté Covid. Ce serait, disons-le, une conception paganisée du Dieu de la foi, dont on jaugerait la météorologie de l’appel au bon vouloir de nos disponibilités. Notre discernement viendrait se méprendre davantage encore : est-il une figure biblique que Dieu n’ait appelé au cœur de l’adversité, ou, du moins, laissant  l’intéressé fortement démuni  en sa capacité d’y répondre ?

Le cœur de la vocation réside précisément dans l’abandon à plus grand que soi. « Il n’est de vocation, authentique dit François de Sales pour laquelle Dieu n’offrirait à l’homme qui la lui demande, la capacité de réponse ». C’est bien selon le cœur de Dieu que l’homme est appelé et non à l’aune de ses calculs. Circonscrire notre regard sur les vocations au moment où nous n’aurions rien de plus urgent est une méconnaissance de qui est Dieu et qui est l’homme voué à sa ressemblance.

La crise du Covid met à jour, en ce moment même, des vocations au sens civil et soignant du terme. Des personnalités se révèlent dans ce combat médical hors du commun. Des étudiants maturent leur désir soignant au contact brûlant de la situation. Un professionnalisme s’affine. Une recherche s’intensifie. Hors médecine stricte, toute la vie sociale recèle une ébullition d’initiatives, de créativité, de courage des livreurs, caissiers, policiers, agriculteurs, éboueurs, aide soignants, et tant d’autres. Jamais peut-être le bénévolat n’a été appelé à un tel surcroît de vie, de sa capacité à se donner. Les ressorts du privé et du public font preuve d’une disponibilité de tout leur potentiel pour la traversée d’un vivre ensemble inédit. Bref, l’homme, actuellement mis à vive épreuve, ne peut et ne pourra se dérober à chercher au tréfonds de lui meilleur que lui.

Le Covid laissant exsangues ou fragilisés  des domaines entiers, c’est bien d’un appel qu’il est question à davantage de fraternité. Les vocations, au sens où l’entend la journée mondiale de prière pousseraient-elles sur un autre terreau ? Amos le prophète, n’est-il pas saisi par Dieu depuis son activité de bouvier ? Jésus ne demande-t-il pas à Lévi de le suivre tandis qu’il est à son guichet ? Les vocations spirituelles ne naissent pas hors sol.

Ajoutons ce qui est primordial : Dieu est épris du devenir de l’homme. Dieu est touché quand l’homme souffre. Jésus est plein de compassion pour son peuple. Il pleure Lazare. Il reçoit le pauvre. Il s’émerveille de la veuve donatrice. Il est ému que son peuple soit sans berger. Rien ne l’indiffère des joies et épreuves de l’homme. Résistant à tout messianisme temporel, il refuse qu’on renvoie la foule affamée de pain, mais il annonce un autre Pain dont jamais elle ne manquera. Dieu, et donc son Église, ne placent pas la question des vocations « sous une bulle artificielle ».  Elle est constitutive de ce qui advient de l’homme. Prier et agir pour les vocations est encore plus requis qu’à l’accoutumée si tant est qu’on s’accoutume. Le plus petit de nos frères est et sera en attente cruciale. Le peuple de Dieu a faim de la Parole et des sacrements. Prêtres, diacres, consacrés, époux, célibataires engagés, animateurs ecclésiaux n’éclosent pas hors du biotope dont les événements sont la contingence et que  Dieu jamais ne  déserte.

Disons le haut et fort : Dieu appelle sans tarir. Jésus demande qu’on prie le Maître d’envoyer des ouvriers. Il atteste que les champs sont blancs. Il ne diffère pas le désir d’aimer et de servir. Il n’y a surtout pas une « suspension » due à la crise qui devrait faire décroître l’ardeur à médiatiser les appels aux réponses incarnées de la sollicitude de Dieu.

Ajoutons ceci : toute époque façonne ses visages. De même, notre temps fera naître, par la grâce de Dieu, des visages vocationnels sans doute inédits vu que ce temps est inédit. Saurons-nous les discerner, les accueillir, les accompagner, tels les catéchumènes dans la fraîcheur native de leur foi ? Dieu appelle ! Parle Seigneur, tes serviteurs écoutent.

3. Lié à cette vigilance, un troisième aspect nous hante : non seulement le déconfinement, mais surtout le monde d’après.

Des  méthodes de déconfinement lui-même, cette chronique ne dira rien, n’ajoutant pas de propos inutiles aux subtilités techniques des langages officiels et de leurs commentaires. Il n’est pas surprenant que le processus soit complexe, empreint de hauts risques et donc, de choix cruciaux. Nous n’avons pas été confinés sans motif dès lors que soixante mille vies ont, dit-on, été épargnées par ce retrait confiné en nos habitacles. Il est prévisible que revenir à une vie sociale génère tout à la fois notre impatience et notre crainte.

La question est-elle de se demander quel terrien nous sommes devenus ? Médecins, économistes, sociologues, élus et psychiatres excellent sur les plateaux de télévision pour parler de ce « nouvel homme ». On regrettera que le spirituel ait si peu la parole alors qu’il aurait tant à dire, pour affirmer notamment  que nous parlons trop et ferions mieux de moins spéculer !  La place du spirituel n’est vraiment pas mature. Trop souvent réduite  à quelques phraseurs décrivant des techniques de méditation comme coach de ce qu’ils osent appeler la vie intérieure. Qui dira la faim réelle de l’homme aujourd’hui ? Qui dira l’irremplaçable présence des pastorales discrètes et agissantes en ces temps douloureux : accueil, soutien téléphonique, fraternité caritative, célébrations  du deuil, bénédictions, dialogues, préparation aux sacrements. Merci à vous prêtres, diacres, consacrés et laïcs, acteurs dans l’ombre de cette compassion.

Le monde d’après est-il vraiment monde d’après ? Oui à l’évidence vu tout ce qui est à recomposer. Mais pas de n’importe quelle manière. Qui entendra ce qui mute aux profondeurs de l’homme ? Qui aura l’humilité de dire tout ce que nous ne savons pas encore ? Teilhard de Chardin disait : « Il n’est pas essentiel que nous comprenions absolument, distinctement notre vie pour qu’elle soit belle et réussie ».

Ne point tout comprendre certes, mais une vie belle, après Covid, épousera quels traits ? Comment pourra-t-elle être belle pour les gens blessés et meurtris ? Quels traits prendra notre devenir sinon ceux que nous en déciderons d’une commune fraternité ? Le monde d’après ne devra donc pas oublier tout ce qui dans le monde d’avant n’était pas broutille, mais déterminant. Le monde d’après ne devra pas être surpris si dans l’épreuve, comme disait Louis Barthas « la même souffrance rapproche les cœurs et fait naître la sympathie entre gens indifférents ». Mais si après l’orage, comme le pense Jules Isaac, « A peu de choses près l’humanité d’après sera sans doute ce qu’elle était avant ».  Il écrivait cela au sujet de 1918.

Ainsi sommes-nous, à la fois fins et piètres connaisseurs de nous-mêmes. Kipling avait raison de dire qu’on “ne paie jamais trop cher le privilège d’être son propre maître”. L’homme d’après ne pourra dire que le “tout est lié” du Pape François était une vue de l’esprit. L’homme d’après sera pétri de la pâte dont il émane, mais il ne bonifiera que si un levain le convertit. Il nous incombe d’accomplir notre devoir d’Etat en disciples du Christ. Accompagner ces jours préparatoires à la reprise dans la prière et la fraternité. Voir près et voir loin. Près, quand un frère demande ce qui ne saurait attendre. Loin, pour que se discernent en profondeur les attentes nouvelles.

Cette newsletter diocésaine, au rythme hebdomadaire décidé en équipe de communication, semble vous rejoindre d’après les échos perceptibles. Sa seule ambition est de nous relier en Celui dont le cœur est sans mesure. Merci à Lui, merci à vous. Dieu appelle !

À samedi.

Mgr Bernard Podvin
Missionnaire de la Miséricorde.