Alphonse, le sonneur !
Il se prénommait Alphonse. Dans son village du Nord, tout le monde l'appelait : "Alphonse le sonneur!". Demeurant face à l'église de sa bourgade, il s'était engagé, auprès de sa commune et de sa paroisse, à rythmer la vie de ses compatriotes. Chaque jour que Dieu faisait, Alphonse tirait la corde sous le clocher avec vigueur et dextérité. Jamais de la même façon ! Ici, un glas communiant au trépas d'un visage regretté. Là, une volée annonçant joyeusement le baptême du "petit de chez untel". Quotidiennement, l'angélus, à trois reprises, quelle que soit la météo. La régularité d'Alphonse défiait toutes les horloges parlantes. Son heure était référence pour tous. Alphonse avait connu les affres de la "grande guerre". Il savait ce que présageait, à l'oreille humaine, le timbre des cloches. Tristesse pour pleurer, allégresse pour exulter. Il vibrait aux événements à un point tel que ses sonneries étaient de véritables déclarations affectives et spirituelles. Alphonse le bourru, s'exprimait par cloches interposées. Pour rien au monde, il n'eût été possible, du vivant de cet homme fidèle, d'électrifier les sonneries de son église. Les annonces manuelles étaient sa vie ! A ses yeux, la mise en automatisation des clochers était une véritable perte de l'âme. Mgr Gand, évêque d'alors, vint un jour, par surprise concertée avec le curé et le maire, épingler sur la veste râpée d'Alphonse, la médaille du mérite diocésain. Une énorme larme fut son unique discours, tellement cette reconnaissance épiscopale inattendue le touchait au dedans de lui. L'Eglise lui disait merci pour ce service de proximité. Service de la terre et du ciel.
Amis internautes, c'est à Alphonse que je dédie la sonnerie programmée en tous les clochers de France le onze novembre qui vient, en commémoration de l'armistice de 1918. Ne banalisons jamais une expression des cloches. En notre société pressée et numérisée, on ne sue plus dans les larmes ou la joie, sous les porches, pour communier au sang ou à l'espérance des hommes. On appuie sur un bouton ! On règle à distance par télécommande. On programme la durée de la volée. En soi ce progrès a du bon, bien sûr. Mais puisse-t-il ne pas devenir distance du cœur ! La sonnerie de ce centenaire 2018 est essentielle. Elle est relation entre les morts et les vivants. Elle est béatitude pour que les artisans de paix soient enfin entendus en tous lieux. Où que vous soyez ce matin-là, marquez le pas. Faites silence intérieur. Cessez tout bruit parasite. Éveillez vos enfants à cette écoute mémorielle et priante. Tant de nos frères sont morts afin que d'autres vivent. Parce que nos clochers sont à tous, que cette audition campanaire, ce onze novembre, soit empreinte des valeurs de la République. Et qu'elle soit pleinement christique si vous croyez en Jésus mort et ressuscité, véritable Prince de la Paix!
J'ai vu, l'été dernier, plusieurs enfants de chœur s'agripper joyeusement à la corde d’une chapelle perdue dans un des plus beaux villages de France. La rareté de ce geste pour cette jeune génération ne venait qu'accroître leur énergie. Il me semblait entendre la voix d'Alphonse les encourager…
Mgr Bernard Podvin
Missionnaire de la Miséricorde
