Document du Vatican sur le genre
Son objectif est de guider les familles et les éducateurs dans l’approche des transformations profondes qui marquent les relations entre garçons et filles, dans le contexte de la multiplication des études liées à la question du genre.
Cyprien Viet – Cité du Vatican
Le document (lien vers le texte intégral en pdf) dresse tout d’abord le constat d’une «urgence éducative» au sujet des «thèmes de l’affectivité et de la sexualité», en remarquant la diffusion de plus en plus fréquente de parcours éducatifs «véhiculant des conceptions de la personne et de la vie prétendument neutres, mais qui en réalité reflètent une anthropologie contraire à la foi et à la juste raison», dans un contexte de «désorientation anthropologique» qui prétend voir dans la différence homme-femme le simple effet d’un «conditionnement historico-culturel».
La Congrégation pour l’Éducation catholique explique que «la vision anthropologique chrétienne considère la sexualité comme une composante fondamentale de la personnalité, une de ses façons d’être, de se manifester, de communiquer avec les autres, de ressentir, d’exprimer et de vivre l’amour humain». C’est à partir de ce postulat que ce dicastère a élaboré ce document articulé autour de trois verbes : «écouter», «raisonner» et «proposer».
Les études sur le genre remettent en question l’altérité sexuelle
Le document met en lumière la différence entre l’idéologie du genre (appelée aussi aussi gender theory) et les diverses recherches sur le genre (gender studies) menées par les sciences humaines. Tandis que l’idéologie prétend, comme l’observe le pape François, «répondre à des aspirations parfois compréhensibles» mais cherche à «s’imposer comme une pensée unique qui détermine même l’éducation des enfants», il ne manque pas de recherches sur le genre «qui s’efforcent d’approfondir de manière appropriée la façon dont on vit dans les diverses cultures la différence sexuelle entre homme et femme. C’est en relation avec ces recherches qu’il est possible de s’ouvrir à l’écoute, au raisonnement et à la proposition.»
Le document trace un bref rappel historique des évolutions récentes dans les mentalités, au XXe siècle et au XXIe siècle, qui ont progressivement fait émerger l’idée que, «dans les relations interpersonnelles, seule compterait l’affection entre individus, indépendamment de la différence sexuelle et de la procréation, considérées comme négligeables pour la construction de la famille». Le nouveau modèle qui se diffuse correspond à «une vision purement contractuelle et volontariste». Depuis les années 1990 particulièrement, de plus en plus de chercheurs détachent la question du sexe de celle du genre, laissant la voie à une «dimension fluide, flexible, nomade», qui s’exprime notamment dans les thèmes du polyamour et de l’identité queer, qui sont de plus en plus présents dans les médias et dans le monde culturel.
Ces phénomènes, qui pouvaient pourtant sembler marginaux il y a peu, commencent à avoir une traduction juridique : «on en appelle à la reconnaissance publique de la liberté de choix du genre ainsi que de la pluralité d’unions en opposition au mariage entre homme et femme, considéré comme un héritage de la société patriarcale. On voudrait donc que chaque individu puisse choisir sa propre condition et que la société se limite à garantir ce droit, y compris par une aide matérielle, sans quoi on verrait se développer des formes de discrimination sociale vis-à-vis des minorités. La revendication de tels droits est entrée dans le débat politique actuel. Ils ont été accueillis dans plusieurs documents internationaux et insérés dans certaines législations nationales», est-il expliqué.
Les aspects positifs des études sur le genre
Cependant, dans une dialectique très nuancée, le document discerne toutefois des aspects positifs dans le développement des études de genre, et identifie des points de rencontre qui peuvent aider l’Église catholique à mieux transmettre le message de l’Évangile. «Il n’est pas rare, en effet, que les projets éducatifs aient l’exigence acceptable et appréciable de lutter contre toute expression de discrimination injuste. Ceux-ci poursuivent une action pédagogique, avant tout par la reconnaissance des retards et des manquements. En effet, on ne peut nier qu’au cours des siècles des formes de subordination injustes ne se soient présentées», indique le texte, reprenant des termes utilisés par le Pape François le 5 octobre 2017 lors de son discours devant l’Académie pontificale pour la Vie. «Elles ont tristement marqué l’histoire et ont eu une influence même à l’intérieur de l’Église. Cela a comporté des rigidités et des fixités qui ont retardé la nécessaire et progressive inculturation du message authentique par lequel Jésus proclamait l’égale dignité de l’homme et de la femme, donnant lieu à des accusations d’un certain masculinisme plus ou moins camouflé derrière des motivations religieuses.»
Un point de rencontre est «l’éducation des enfants et des jeunes à respecter toute personne dans sa condition particulière et différente, afin que personne, à cause de ses conditions personnelles (handicap, race, religion, tendances affectives, etc.) ne puisse devenir l’objet de brimades, violences, insultes et discriminations injustes. Il s’agit d’une éducation à la citoyenneté active et responsable, où toutes les expressions légitimes de la personne sont accueillies avec respect», salue le texte.
Un autre point de développement de la compréhension anthropologique concerne «les valeurs de la féminité» qui ont été mises en évidence par la réflexion sur le genre, notamment une capacité particulière d’attention à l’autre, et de s’engager dans des choses concrètes, éloignées des abstractions sur lesquelles les hommes ont plus souvent tendance à se focaliser.
Les limites des théories du genre
Le document met en relief ensuite plusieurs «points critiques qui se présentent dans la vie réelle». Avec les théories du genre les plus radicales, identité sexuelle et famille deviennent des dimensions de la “liquidité” et de la “fluidité” post-modernes, fondées sur une liberté mal comprise du sentir et du vouloir plutôt que sur la vérité de l’être». À travers «l’utopie du “neutre”», on ôte à la fois «la dignité humaine de la constitution sexuellement différente et la qualité personnelle de la transmission générative de la vie», en détruisant ainsi le fondement anthropologique de la famille, s’alarme le document, en s’appuyant à plusieurs reprises sur les textes de saint Jean-Paul II dédiés à la “théologie du corps”.
Une critique raisonnée
L’analyse philosophique montre elle aussi que «la différence sexuelle masculine/féminine est constitutive de l’identité humaine. Les philosophies gréco-latines posent l’essence comme élément transcendant qui recompose et harmonise la différence entre féminin et masculin dans l’unicité de la personne humaine».
La «formation de l’identité» est précisément fondée sur l’altérité sexuelle. Cette altérité est remise en cause par l’évolution des techniques médicales (PMA, GPA…) qui «comporte des manipulations d’embryons humains, des fragmentations de la parentalité, l’instrumentalisation et/ou la marchandisation du corps humain, et réduit l’enfant à un objet de technologie scientifique». Face à cette instrumentalisation, les écoles doivent être des lieux d’éveil de la raison, ouverte à la dimension transcendante. Les situations concrètes vécues par les personnes doivent être prises en compte afin d’éviter que le dialogue entre foi et raison ne devienne «un exercice intellectuel stérile», indique le document.
Le rôle de l’Église dans l’éducation à l’altérité
Dans la troisième partie de ce document, articulée autour du verbe «proposer», il est indiqué que «l’Église – mère et éducatrice – non seulement écoute mais aussi, forte de sa mission originaire, s’ouvre à la raison et se met au service de la communauté humaine, en lui offrant ses propositions. Il est évident, en effet, que, sans une clarification satisfaisante de l’anthropologie sur laquelle se fonde la signification de la sexualité et de l’affectivité, il n’est pas possible de structurer de manière correcte un parcours éducatif cohérent avec la nature de l’homme comme personne», est-il expliqué.
Le premier pas de cette clarification anthropologique consiste à reconnaître que «l’homme aussi possède une nature qu’il doit respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté», rappelle le document en citant le discours de Benoît XVI au Bundestag à Berlin, le 22 septembre 2011. C’est là le cœur de cette écologie de l’homme qui part de la «reconnaissance de la dignité particulière de l’être humain» et de la nécessaire relation de sa vie «avec la loi morale inscrite dans sa propre nature», poursuit le texte en citant l’encyclique du Pape François, Laudato Si’.
Toute cette réflexion a pour base les textes bibliques. L’anthropologie chrétienne plonge en effet ses racines dans le récit des origines tel qu’il apparaît dans le livre de la Genèse où il est écrit que «Dieu créa l’homme à son image […], il les créa homme et femme». Cette altérité est fondatrice de toutes les autres. «Dans la configuration de sa propre manière d’être, féminine ou masculine, ne se rejoignent pas seulement des facteurs biologiques ou génétiques, mais de multiples éléments qui ont à voir avec le tempérament, l’histoire familiale, la culture, les expériences vécues, la formation reçue, les influences des amis, des proches et des personnes admirées, ainsi que d’autres circonstances concrètes qui exigent un effort d’adaptation», poursuit ce document en s’appuyant sur des réflexions de Jean-Paul II.
Tout ce qui fonde l’identité corporelle fonde donc aussi la capacité à entrer en relation, notamment au sein du couple. «La valorisation de son propre corps dans sa féminité ou dans sa masculinité est aussi nécessaire pour pouvoir se reconnaître soi-même dans la rencontre avec celui qui est différent, et s’enrichir réciproquement», indique le paragraphe 151 de Laudato Si’.
Le primat de la famille sur les institutions étatiques
«La famille, en tant que société naturelle où réciprocité et complémentarité entre homme et femme se réalisent pleinement, précède l’ordre sociopolitique de l’État et la libre activité législative de celui-ci doit en tenir compte et lui donner une juste reconnaissance », est-il indiqué. C’est dans la famille que se situe la base de l’éducation, et que l’enfant doit vivre sa première confrontation à l’altérité féminine et masculine qui l’aidera à progresser dans sa maturité affective.
À l’action éducative de la famille se joint celle de l’école, qui interagit de manière subsidiaire. Forte de sa fondation évangélique, «l’école catholique prend l’aspect d’une école pour la personne et d’une école des personnes». Dans ce cadre, «l’éducation à l’affectivité a besoin d’un langage adapté et mesuré.
Il est donc nécessaire d’aider les élèves à développer «un sens critique face à l’invasion de propositions, face à la pornographie incontrôlée et à la surcharge d’excitations qui peuvent mutiler la sexualité». Face à un «bombardement de messages ambigus et vagues», qui peuvent provoquer une «désorientation émotive et l’empêchement de la maturité psycho-relationnelle», «il faut les aider à reconnaître et à rechercher les influences positives, en même temps qu’ils prennent de la distance par rapport à tout ce qui déforme leur capacité d’aimer», indique le document en citant le paragraphe 251 de Amoris Laetitia.
Reconstruire l’alliance éducative entre la famille, l’école et la société
À cette époque de remise en question du «pacte éducatif», il est urgent de bien remettre au centre des débats le «principe de subsidiarité». «Toutes les autres personnes qui prennent part au processus éducatif ne peuvent agir qu’au nom des parents, avec leur consentement et même, dans une certaine mesure, parce qu’ils en ont été chargés par eux. En agissant ensemble, famille, école et société peuvent élaborer des parcours d’éducation à l’affectivité et à la sexualité destinés au respect du corps de l’autre et des temps de sa maturation sexuelle et affective, en tenant compte des spécificités physiologiques et psychologiques, ainsi que des phases de développement et de maturation neurocognitives des filles et des garçons afin de les accompagner dans leur croissance de manière saine et responsable». Cet objectif nécessite d’offrir une formation adéquate aux éducateurs eux-mêmes, en tenant compte des apports de la littérature et des sciences humaines.
Une approche réaliste et non pas idéologique
Le document précise que «la voie du dialogue – qui écoute, raisonne et propose – apparaît comme le chemin le plus efficace pour une transformation positive des inquiétudes et des incompréhensions en une ressource pour le développement d’un contexte relationnel plus ouvert et plus humain. Au contraire, l’approche idéologisée des délicates questions du genre, bien que déclarant le respect des diversités, risque de considérer les différences elles-mêmes de manière statique et de les maintenir isolées et réciproquement imperméables.»
Sur le plan de la politique éducative, «un État démocratique ne peut, en effet, réduire la proposition éducative à une pensée unique, en particulier dans une matière si délicate qui touche la vision fondamentale de la nature humaine et le droit naturel de la part des parents à un libre choix éducatif, toujours selon la dignité de la personne humaine».
Les écoles catholiques ont donc un rôle central à jouer, pour que «les jeunes ne soient pas seulement aimés, mais sachent aussi qu’ils sont aimés» (saint Jean Bosco). La Congrégation pour l’Éducation catholique encourage «les enseignants chrétiens, qu’ils travaillent dans des écoles catholiques ou dans des écoles publiques, à stimuler chez les élèves l’ouverture à l’autre comme visage, comme personne, comme frère et sœur à connaître et à respecter, avec son histoire, ses qualités et ses défauts, ses richesses et ses limites. L’enjeu est de coopérer à la formation de jeunes ouverts et intéressés par la réalité qui les entoure, capables de soin et de tendresse», conclut le document en citant un discours prononcé par le Pape François le 5 janvier 2018 devant l’Association italienne des Instituteurs catholiques.