Ouverture de l’Assemblée plénière des évêques de France

Béatitude,

Au nom de tous les évêques de France ici réunis, bienvenue, laskavo prosymo !

Lundi dernier, au Président de la République comme au Ministre de l’Intérieur et, ce jeudi, au Ministre
de l’Europe et des Affaires étrangères, vous vous êtes présenté comme la « voix de la société civile »
ou « la voix des gens simples ». Permettez-moi d’ajouter ce que vous ne pouvez pas dire de vousmême :
Vous êtes une voix de la conscience européenne ! Vous incarnez cette voix, vous la faites entendre.

Depuis le redoublement de l’offensive russe en février 2022, vous soutenez les fidèles de votre Église
et, plus largement, tous les Ukrainiens qui veulent bien vous écouter par vos billets de chaque semaine :
déjà la 142ème semaine de guerre, en exposant les voies d’une véritable « spiritualité du temps de
guerre ». C’est un acte de « résistance spirituelle » ! Vous avez une vive conscience que la résistance
opposée par votre peuple à l’invasion a une dimension et une valeur avant tout spirituelle. Vous devez
cette conviction sans doute à votre formation de moraliste acquise à l’Angelicum et affermie par
quelques années d’enseignement. Ce regard de moraliste affleure dans les documents produits par
votre Église à propos de la guerre juste dans lesquels vous veillez à commencer toujours par évoquer
la résistance non-violente pour aboutir ensuite seulement à la justification de la guerre défensive.

Mais vous devez surtout ce discernement à l’histoire de votre Église que vous connaissez bien : elle a
failli disparaître sous la pression des soviétiques, mais elle a tenu bon en ses évêques, en nombre de
ses prêtres et de ses fidèles, tous bien formés et nourris par la pensée de l’Archevêque majeur de
l’entre-deux guerres mondiales, le vénérable André Cheptitsky, auquel ont succédé le cardinal Slipy
puis le cardinal Lioubatchivsky et le cardinal Husar dont vous avez été le secrétaire. Parce qu’elle était
enracinée dans une spiritualité profonde et portée par une théologie ouverte à l’Église universelle, celle
qui va des Apôtres au dernier des élus pour parler comme Lumen gentium, votre Église a su traverser
les années terribles et sortir toute constituée, lorsque l’hiver s’est achevé, prête à servir, avec évêques,
prêtres, moines et moniales et familles et fidèles.

La tradition morale de l’Église et l’expérience de votre Église particulière vous permettent d’exercer un
discernement serré face à l’idéologie du « monde russe » « Russkiy Mir », qui sert d’aliment et de
justification à tout un discours de conquête et d’occupation. Vous y repérez une déformation de la foi
chrétienne, utilisant la foi dans le Christ au service du nationalisme le plus étroit. Vous savez non moins
indiquer les voies d’une formation morale intérieure qui permette de vivre dans des sociétés de libertés
en affermissant la liberté intérieure, plutôt qu’en la laissant s’abîmer.

Au terme de votre séjour en France par lequel vous avez répondu à l’invitation que l’archevêque de
Paris, ordinaire des Orientaux n’ayant pas d’évêque en France, et moi-même, comme président de la
Conférence des évêques, vous avions adressée ; après deux jours consacrés à l’éparchie de SaintVolodymyr
dont je salue ici l’administrateur apostolique, Mgr Hlib Lonchyna, dans l’attente de l’arrivée
d’un évêque ; nous voudrions, nous, évêques de France, vous exprimer ici notre soutien pour votre
mission personnelle et à l’Église dont vous êtes « le chef et le père », sans oublier les catholiques latins,
les chrétiens orthodoxes si nombreux, les protestants, les juifs, les musulmans, les athées, toute la
diversité de la population ukrainienne que vous portez devant Dieu par votre intercession. Nous vous
remercions déjà de ce que vous voudrez bien nous partager du discernement que vous opérez jour
après jour. La clarté de votre propos, la paix sereine qui vous habite au milieu des tempêtes, vous qui
avez fait le choix de rester à Kyiv alors même que les troupes russes s’en approchaient et que vous vous
saviez en haut de la liste des personnes à éliminer, nous encourageront, nous évêques en France, à
persévérer avec calme dans les tempêtes que nous traversons parfois. Dans le Christ, nous espérons
bien en sortir grandis et affermis, plus libres et plus résolus.

De tout cœur, fraternellement et respectueusement, Béatitude, nous vous écoutons.

 

Mgr Éric de Moulins-Beaufort,
Archevêque de Reims
Président de la CE