Parce que ce sera long

La télévision vient de déverser sa logorrhée quotidienne. Ce nonagénaire l’a subie plus que suivie. De son lumineux visage, sort une phrase si percutante que rare dans la cacophonie angoissante : « Pourquoi se mettent-ils dans la tête que ça devait être court ».

Ça ? C’est à dire l’actuelle épreuve pandémique.
Ça ? C’est à dire ce que nous vivons depuis un an.
Ça ? C’est à dire, aux yeux de ce témoin de l’histoire, un temps grave à situer parmi tant d’autres qui furent longs et éprouvants pour l’humanité.

Surtout, rien de morbide dans l’expression de notre ainé.
Bien au contraire!
Un appel à nous méfier de nos illusoires projections.
Un appel à fraterniser.
Un appel à l’humilité.
Nés dans les générations où résonnèrent successivement les termes « croissance » et « crise », entendons-nous le sage économe de ses mots ?
Il sait qu’une guerre, une pandémie, une catastrophe laissent inévitablement de profonds et durables stigmates.
Maurice Genevoix avait perçu le dilemme intérieur : « Si tu subis des épreuves extérieures, tu prends sur toi, tu serres d’un cran la ceinture. Tu as froid ? Tu allumes une flambée. Mais si ta souffrance ne vient plus des choses extérieures, si elle devient toi-même tout entier, quel recours?… »

Là est notre défi en ce Carême 2021.
Une solidarité réelle, dans la matérialité évidemment ! Mais bien au-delà.
Une attention au cœur du cœur de la personne, à l’intérieur de l’homme. Là où il faut allumer la flambée d’évangile sous la cendre du désarroi.
Fraterniser les uns envers les autres, afin que le mal perçu par Genevoix ne nous envahisse.
Stimuler en chacun la flamme intérieure. Le désir de vivre. La raison d’être.

Parce que ce sera long, et que nul ne sait dire ce que « long » représente.
D’où le choix de s’ouvrir à Dieu et aux frères dès aujourd’hui, et pas dans un hypothétique demain.
Le frère Adrien Candiard, commentant le philosophe Derrida, nous rappelle que le futur n’est pas l’avenir.
Le futur est ce que nous organisons.
L’avenir est ce qui va naître.
Fraterniser, amis lecteurs, n’est-ce pas organiser de tout cœur et au mieux ce qui relève de nous, puis nous abandonner à ce qui va advenir de plus grand que nous ?
Le nonagénaire a raison.
Parce que ce sera long, chaque parcelle de vie recueille l’éternité.
Chaque quart d’heure prend saveur d’espérance si nous l’entrevoyons comme une réalité à parcourir ensemble.
Benoit XVI avait insisté sur une distinction spirituelle et biblique fondamentale. La persévérance et non le retrait ! La constance et non le repli. La bienveillance fondatrice et non la crispation funeste.
L’hypomone et non l’hypostole, pour reprendre les termes de la Lettre aux Hébreux (ch 10).
Distinction pas du tout académique mais existentielle. Tenir ensemble sous le regard aimant de Dieu. Et non se retirer dans la noirceur discernée par Genevoix.

Marchons vers Pâques, après avoir consenti, comme le peuple de Dieu, à l’abrasive, mais maturante, épreuve du temps. Et jamais les uns sans les autres !…

Mgr Bernard Podvin
Missionnaire de la Miséricorde