Heureux comme Lazzaro

Date de sortie   7 novembre 2018
Durée              2h07
Réalisé par       Alice ROHRWACHER
Avec                Adriano Tardiolo, Alba Rohrwacher, Agnese Graziani
Genre              Béatifique
Origine            Italie (+ France, Suisse, Allemagne)

 

Lazzaro, un jeune paysan d’une bonté exceptionnelle vit à l’Inviolata, un hameau resté à l’écart du monde sur lequel règne la marquise Alfonsina de Luna. La vie des paysans est inchangée depuis toujours, ils sontexploités, et à leur tour, ils abusent de la bonté de Lazzaro…

 

 

 

 

« Si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui » (Mt 5, 41). Au cas où nous aurions oublié à quel point l’Évangile est radical, la réalisatrice Alice ROHRWACHER se charge de nous rafraîchir radicalement la mémoire. À l’origine, un fait divers curieux du siècle dernier : dans un recoin isolé de l’Italie centrale, une marquise avait dissimulé aux paysans de ses terres l’abolition, en 1982, du métayage, continuant de les exploiter sans vergogne, jusqu’au jour où « la grande duperie » fut dévoilée. Le film reprend ce contexte en deux époques, avant et après la libération des paysans.

Reine sans scrupules de cette Inviolata au nom explicite, la marquise de Luna fait trimer ses gens dans ses plantations de tabac. Selon elle, il est dans l’ordre des choses que les hommes cherchent à exploiter plus faible qu’eux, en une pyramide qui n’en finit pas de s’enfoncer. Or, au sein même de son domaine, un homme lui oppose un démenti par sa seule existence. Au jeune Lazzaro sont déléguées toutes les corvées, n’est laissée que la dernière place, quand il n’est pas purement et simplement oublié. Et Lazzaro, innocent, d’endosser sans rechigner le sale boulot, de se ranger discrètement à l’arrière-plan, d’aller même au devant des besoins des uns et des autres. Tout cela sans jamais se départir de sa douceur ni de son sourire angéliques, avec pour seule récompense l’ingratitude moqueuse de sa communauté. Seuls à se soucier un tant soit peu de son sort, l’énergique et dévouée Antonia, ainsi que le fantasque Tancredi, en rébellion contre sa marquise de mère, jeune homme riche attiré par l’idéal qu’il pressent obscurément en Lazzaro, mais que le moindre sacrifice fait reculer.

La seconde partie du film, plus contemporaine, nous extrait de l’Inviolata enfin révélée au monde. Les paysans sont libres désormais, peuvent jouir de la modernité citadine… et sont toujours aussi pauvres, voire dans une précarité plus grande encore. C’est là qu’un Lazzaro réfractaire à la mort et à l’outrage des ans les retrouve, tribu déracinée que le chômage pousse aux larcins et aux braquages minables. C’est là que son incapacité viscérale au mal comme à l’avidité insensiblement les transfigure – pour peu qu’ils ouvrent leur cœur et se laissent toucher. C’est là que se situent sans doute les meilleurs moments du film, fable pastorale puis sociale, rehaussée de quelques touches d’un surnaturel aussi discret que poétique, confinant au merveilleux. Ce qui n’exclut pas l’humour et les dialogues truculents ! Et ne nous y trompons pas : figure angélique voire christique – les admonitions aux hypocrites en moins – le personnage de Lazzaro ne vise pas à nous bercer dans le feel-good béat. Sans esbroufe, par son seul exemple, il nous appelle au contraire à vivre les Béatitudes. Radicalement.

Prix du scénario Cannes 2018

Christophe Aelbrecht